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07/05/2015

Rodeo ou la malédiction de l’or

Un voyage dans la Cordillère, c’est aussi un voyage au pays des « méga-mines ». La Cordillère des Andes recèle de richesses fabuleuses en ressources naturelles : or, argent (ah Potosi !), cuivre… Les montagnes ici sont dignes du « Diamant gros comme le Ritz » de Fitzgerald. Depuis déjà longtemps, ces ressources ont attiré les convoitises de très nombreux investisseurs, presque toujours étrangers. Il suffit de rappeler l’exploitation intensive du cuivre chilien par les entreprises Braden Copper Company ou encore Andes Copper Mining au tournant du XXe siècle.

Si des auteurs, tels qu’Eduardo Galeano, ont dénoncé dès les années 70 ce qu’on peut appeler un véritable « pillage » des ressources naturelles andines par les pays riches, ceux-ci seraient sans doute dépités de voir que la situation actuelle n’a pas changé d’un iota. De Famatina à Rodeo, nous vous emmenons sur des routes où l’or finit par devenir la véritable malédiction des territoires et populations.

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La Cordillère des Andes… une vraie pépite

La formation géologique de la Cordillère en a fait un véritable El Dorado pour les entreprises minières. La roche-même des montagnes se compose de très nombreux minerais précieux. Outre l’or et l’argent, on trouve aussi de l’étain, du plomb, du lithium…

En Argentine, la décennie 1990 a représenté un véritable tournant pour l’industrie minière. L’arrivée à la présidence de Carlos Menem a conduit à une ouverture sans limites du pays aux capitaux étrangers : les privatisations et appels aux investissements extérieurs se sont notamment concrétisés par le développement de méga-projets miniers. L’industrie minière a ensuite poursuivi son essor sous l’ère Kirchner (Nestor puis Cristina).

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Perforeuse à la mine de Veladero

Parmi les provinces argentines, la province de San Juan est l’une des plus riches en or. La mine de Veladero qui appartient au géant canadien Barrick Gold compte parmi les plus grandes mines d’or du monde (en savoir plus sur Veladero). Autre méga-mine de la région : Pascua-Lama, à cheval, entre le Chili et l’Argentine et également propriété de Barrick Gold. On considère que cette mine située en haute altitude en plein cœur de la cordillère est l’un des plus grands gisements d’or du monde. Les travaux de création de la mine ont commencé en 2009.

Pépite ? Si on parlait plutôt de malédiction ?

Les économistes du développement parlent souvent de « malédiction des matières premières ». Généralement cette expression désigne le fait qu’une ressource naturelle (minerais, pétrole, bois, ou encore produits de l’agriculture : soja, maïs, café, coton, etc.) dominante et recherchée conduit les pays en développement à ne pas diversifier leur économie.

Mais si nous parlons ici de malédiction de l’or, c’est dans un autre sens : en soi, le fait qu’un sol ou sous-sol soit riche devrait naturellement entraîner le développement d’un territoire. Plus de travail, plus de ressources financières (à la fois aux niveaux local et national), et in fine, un vrai développement (plus d’infrastructures, meilleure éducation, etc.). L’industrie minière en soi peut donc représenter un véritable atout pour un pays, si elle est suffisamment contrôlée et encadrée.

Mais le cas des provinces argentines de la Cordillère prouvent que bien souvent le développement reste un projet de fond de tiroir… tandis que les entreprises minières et quelques élites locales s’en mettent plein les poches. 

Les mines d'or argentines sont presque toutes concédées à des géants étrangers ; nous avons déjà cité la Barrick Gold, mais on peut aussi parler de Goldcorp (Canada), Agnico-Eagles Mines (Canada), Royal Gold (USA), … Source : http://www.rojasyasociados.com/en/empresas-mineras-activas-en-argentina/

 

Famatina, l’exemple d’une protestation populaire ayant freiné les avancées de la mine… jusqu’à quand ?

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En voyage sur les routes de la Rioja, vous serez sûrement surpris de voir émerger un sommet improbable. Visible depuis la route du parc de Talampaya, tout comme depuis la Laguna Brava, le Famatina (du nom de la sierra qu’il domine) dresse sa superbe silhouette au milieu de paysages de plaines de la pré-Cordillère. Cet éblouissant sommet qui culmine à plus de 6000 mètres est depuis 2012 le lieu de batailles incessantes entre industrie minière, soutenue par le gouvernement kirchnériste provincial, et les populations locales.

Barrick Gold (décidément partout…) a été présente sur le site jusqu’en 2006, jusqu’à en être « chassé » par la population. C’est ensuite à une autre firme canadienne, Osisko Mining Corporation, que le gouvernement local a confié l’exploitation du Famatina. Mais en 2012, suite à de très fermes protestations, l’entreprise a dû faire marche arrière. Les populations locales soutenues par les ONG environnementales ont refusé en bloc la réouverture de la mine. Elles se sont notamment appuyées sur le précédent de Catamarca pour justifier leur refus. Dans cette autre province argentine de la Cordillère, la mine de l’Alumbrera non seulement n’a créé que très peu de travail local, mais a eu des conséquences dévastatrices sur l’environnement :

  • Pour extraire l’or, les entreprises utilisent le cyanure qui part ensuite directement dans les eaux de la région. L’eau potable est ainsi durablement contaminée. On estime que dans le monde, les mines d’or consomment chaque année 182 000 tonnes de cyanure.
  • La quantité d’eau nécessaire aux mines est considérable, alors même que ces régions sont extrêmement sèches. Au total dans le monde, 810 milliards de litres d’eau seraient consommés chaque année par les mines d’or. Vertige…
  • De nombreux fleuves se retrouvent asséchés et des glaciers détruits
  • La faune locale (vigognes, guanacos, pumas) est généralement obligée de se déplacer pour survivre
  • Aucune ressource financière ne semble rentrer dans les poches des provinces > pas de développement à l’horizon.

 

Bon à savoir

Pour produire l’or que contient une simple alliance de mariage, 20 tonnes de déchets sont produites…

Sinistre tableau, non* ?

 

Bien sûr, il faut aussi préciser que les gouverneurs des provinces concernées, ainsi que les principaux soutiens locaux à la mine, sont arrosés de pots-de-vin. Mine = corruption ? On serait tenté de répondre un oui systématique.

Si la victoire des opposants de la mine à Famatina en 2012 semblait avoir marqué un changement crucial dans la politique minière, c’était sans compter sur les revirements toujours favorables aux grandes multinationales… Aujourd’hui, le Famatina est de nouveau menacé (cette fois par une entreprise argentine), alors les populations locales se remobilisent. En figure de proue, le curé du village de Famatina, Omar Quinteros, qui racontait récemment être l’objet de harcèlement permanent, allant jusqu’à la menace de mort. Sa rencontre récente avec le pape lui apportera-t-elle un soutien de poids ? L’avenir le dira.

               

C’est parti pour le Rodeo…

Rodeo est une localité de San Juan (au sud de la Rioja) située sur l’extraordinaire route 150. Des paysages hallucinants de désolation et beauté mêlées jusqu’à l’arrivée au lac de barrage Cuesta del Viento, aux eaux bleu turquoise.

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C’est en discutant avec la population qu’on se dit qu’ici quelque chose ne tourne pas rond. Cette oasis où fleurissent des cabanes très chic a développé son activité touristique grâce au lac où des conditions exceptionnelles sont réunies pour la pratique de la planche à voile et du kite surf. Pourtant début avril, alors que la saison haute venait de terminer et que le soleil brillait encore à 100%, les touristes étaient fort rares.

Nous avons demandé à l’une des structures touristiques situées aux abords du lac si cette faible fréquentation était normale. Notre interlocuteur nous a juste répondu : « C’est la politique. Le gouvernement de San Juan n’a aucun intérêt à ce que le tourisme se développe trop à Rodeo. Les enjeux miniers sont trop importants. Mieux vaut tenir éloignés des flux massifs de visiteurs. » Hummm… notre interlocuteur nous raconta ainsi qu’en novembre dernier, les vannes du barrage avaient été ouvertes provoquant une baisse du niveau de lac de près de 5 mètres (!), rendant très difficile son accès à tous les fanatiques de sports de glisse. Selon lui, il s’agissait là précisément d’une mesure pour ralentir le tourisme à Cuesta del Viento. Par ailleurs, notre interlocuteur nous a signalé que les fleuves alimentant le lac de barrage étaient de plus en plus à sec, ce qui selon lui était à mettre sur le compte de l’activité minière de la région.

Et le bénéfice économique des mines pour San Juan lui demande-t-on ? « Il est nul. À peine quelques emplois qui se courent après** ; et sinon rien. Aucune amélioration d’infrastructures, rien. Par contre, les élites politiques locales se retrouvent toutes équipées du dernier pick-up à la mode… et ce n’est que la face visible de l’iceberg « coima » (corruption) » nous dit-il. Il ne faut pas oublier que Rodeo est sur la route de Veladero et Pascua Lama, dont nous parlions plus tôt.

 

Pascua Lama : une mine d’or extrêmement controversée

Le projet Pascua Lama est celui d’une méga-mine située à cheval sur le Chili et l’Argentine. Les travaux de création de la mine, aux mains de la Barrick Gold, ont commencé en 2009. « Petit problème » côté argentin : la mine se situe sur le territoire de la Réserve de Biosphère San Guillermo, lieu majeur de préservation d’espèces telles que le puma, la vigogne, le guanaco, sans parler des paysages de montagnes éblouissants ou de l’importance de cet espace dans le « Chemin inca » (Qhapaq Ñan).

Qhapaq Ñan

Le grand musicien argentin Gustavo Santaolalla, fondateur du groupe de tango Bajo Fondo et compositeur d’innombrables musiques de films, a parcouru au cours du premier trimestre 2015 tout le chemin inca, dans le cadre d’un documentaire qu’il est en train de réaliser. Il est notamment passé par la Réserve San Guillermo et a fini son chemin en Bolivie. Ce documentaire vise notamment à mettre en lumière des territoires peu connus d’Argentine et de Bolivie, dans le but de contribuer à leur préservation.

Sur ce blog, nous vous avions déjà parlé il y a deux ans d’une grande campagne lancée par Greenpeace pour la protection de la Réserve San Guillermo. De fait, en 2011, l’activité de Barrick Gold sur le site de Pascua Lama avait été arrêtée suite aux nombreuses plaintes et protestations d’ONG et des populations locales. La campagne de Greenpeace visait donc à maintenir une vigilance permanente et continuer de bloquer les activités de l’entreprise minière. Mais les enjeux financiers pour la firme canadienne sont tels que celle-ci n’allait pas se laisser freiner durablement.

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Mine de Pascua Lama

 

Barrick Gold se défend de son côté en disant que son activité se situe en bordure de la réserve, et que l’entreprise est un acteur majeur dans les études concernant la préservation de la faune locale. Par ailleurs, l’UNESCO elle-même avait reconnu lors de la création de la Réserve que l’activité minière faisait partie des particularités de la zone. De plus, Barrick insiste sur le fait que les dommages constatés sur les glaciers de la région proviennent non de son activité, mais du réchauffement global.

Très bien… écoutons maintenant un ouvrier chilien de Pascua Lama ayant témoigné sur les conséquences des activités menées par la Barrick entre 2009 et 2011. Selon Claudio Páez, la mine est directement à l’origine de l’assèchement des fleuves et des glaciers de la région, et en conséquence de la mort de milliers d’animaux dont l’écosystème est bouleversé. Bien sûr, les conséquences sont aussi majeures pour les communautés locales.

Quant à l’impact sur la montagne, il suffit de voir la vidéo suivante pour se faire une idée (la mina Veladero se situe à quelques encâblures de Pascua Lama).

(Le dénaturement des montagnes modifie profondément tout le système aquifère et donc la circulation de l’eau).

Fin mars 2015, le jugement d’un tribunal chilien, selon lequel les dommages environnementaux dans la région (en particulier la question des glaciers) ne peuvent être attribués à l’activité minière, annonce la reprise de l’exploitation de la mine… Côté argentin, les travaux sont a priori paralysés depuis 2013, jusqu'à quand ?

Comment aller à la Réserve San Guillermo ?

Pour comprendre le lieu exceptionnel qu’est la Réserve (et le niveau de la menace de la megamineria), on a donc très envie de se rendre sur place.

 

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Source : site de la réserve

 

Eh bien, autant le dire, il faut s’armer de courage… et ouvrir son portefeuille ! La route menant à la Réserve San Guillermo depuis Rodeo est un simple chemin très rocailleux. Sans 4x4, mission un peu compliquée… De là, à penser que la route est ainsi maintenue pour empêcher le développement du tourisme et la présence de touristes encombrants, il n’y a qu’un pas !

Et pour rentrer dans la réserve, il faut impérativement une autorisation médicale ainsi qu’un accompagnateur certifié. Plus d’obstacles, on peut difficilement imaginer ! Quant au prix, n’en parlons pas : l’agence Nielsen Expediciones propose ainsi des circuits de 2 jours pour la modique somme de 3400 pesos

 

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On pourra dire que c'est une façon de préserver le parc...

 

Le pire est-il à venir ?

Bien que les gouverneurs de la Rioja (Beder Herrera) et de San Juan (Gioja), tous deux kirchnéristes, soient ouvertement en faveur des mines, leurs ambitions –autant dire qu’elles sont personnelles- concernant leurs mines ont souffert ces deux dernières années des freins imposés aux entreprises étrangères par le gouvernement de CFK.

Importations rendues très compliquées, problèmes quasi-insolubles pour faire sortir les devises du pays, ont freiné voire paralysé plusieurs méga-projets miniers. Et ce, même si le kirchnérisme s’est toujours montré favorable aux méga-mines.

Finalement, les mesures monétaires et commerciales du gouvernement ont au moins eu le mérite de protéger temporairement les populations et territoires de la Cordillère.

Mais un article récent de Bloomberg révèle que les élections présidentielles de la fin d’année allaient sans aucun doute changer la donne. Les géants de l’industrie minière seraient ainsi prêts à investir près de 5 milliards de dollars en Argentine, si la politique gouvernementale en matière de capitaux et d’importations venait à changer.

L'avenir semble bien compliqué pour les provinces de la Cordillère. On aimerait croire que ces grandes entreprises minières commencent à exploiter l'or de manière responsable et durable, et que les taxes versées finissent par contribuer au développement local, mais le scepticisme demeure. La société civile devra faire preuve d'une vigilance accrue en 2016.

 

*Selon Bloomberg, les impôts sur les mines représentent 69% du Budget de la province de Catamarca… Dommage que la population n’en voit pas la couleur !

** Dans la province de Catamarca, une nouvelle mine baptisée “Bajo el durazano” a été ouverte en janvier 2015. Le nombre d’emplois locaux induit s’élève à… 45 ! La mine quant à elle devrait permettre d’extraire 15 000 tonnes de cuivre et 100 000 onces d’or. (source Pagina 12)

Pour en savoir plus :

L’actualité des mines en Argentine

Une très intéressante étude (en français) sur le boom des mines en Argentine à partir des années 90 / Présidence Menem

Etude « Grands projets d’exploitation minière et stratégie des firmes pour se rendre environnementalement acceptables »

Article du Monde : En Amérique latine, le boom minier engendre de plus en plus de conflits (2012)

AFD : Les enjeux du développement en Amérique latine

Etude de Greenpeace : http://www.greenpeace.org/argentina/Global/argentina/repo...

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