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05/08/2014

Argentine, pays au bord du défaut…

 [Après une longue absence, l’auteur de ce blog est de retour, alors que l’Argentine se retrouve au cœur de l’actu économique…]

« Griesa », les Argentins n’ont plus que ce nom à la bouche. Griesa, le juge américain, qui, fin juin, a prononcé le jugement qui met techniquement le pays en défaut de paiement. Cette situation de « default », on l’étudie généralement dans les manuels d’économie, mais en Argentine c’est sur le terrain qu’on la vit.

 

Interrogez n’importe quel porteño, il pourra vous parler de ce « default » qui rythme l’actu argentine depuis le début de l’hiver austral. Surgira alors l’ombre vampirisante des fonds vautours, ces fameux « buitres » (vautours en espagnol) qui ont tout, mais vraiment tout, du charognard… En fondant sur les dettes souveraines, ils s’engraissent de manière scandaleuse.

Thomas Griesa Defaut souverain argentin.jpgLe juge Thomas Griesa


Pourquoi l’Argentine se trouve-t-elle en situation de défaut de paiement ?

Tout commence avec la crise de 2001. Le pays connaît la plus grande débâcle financière de son histoire ; la banqueroute est totale. L’Argentine se retrouve incapable de payer ses créditeurs. Dans les années qui suivent, afin de pouvoir se redresser, l’Argentine négocie avec ceux-ci une restructuration de sa dette.

93% des créditeurs acceptent les termes de la conversion de dette (canje de deuda) : l’Argentine ne leur remboursera que 30% de ce qu’elle leur doit. La décote de 70% est impressionnante, mais c’est elle qui permet au pays de se remettre à flot dans la décennie 2000-2010.

Restent alors 7% de prêteurs hors de la négociation… et parmi eux, deux fonds, Elliott et Aurelius (détenteur de 1% des créances de l’Argentine). Ceux-ci réclament un paiement intégral de la dette, ce qui pour eux représenterait un gain de 1600% (par rapport au prix d’achat des bons du Trésor). Commence alors une décennie de lutte entre le gouvernement argentin et ces fonds vautours.

Basta buitres fonds vautour argentine.jpg

 

Après de multiples rebondissements, le juge Griesa leur donne finalement raison et bloque une somme de 539 millions de dollars que l’Argentine a payé et qui doit être versée aux porteurs de bons restructurés. Dès lors, l’Argentine est en défaut.

La vrai clé de cette histoire est liée à une clause juridique incluse dans les termes de la conversion de dette. Cette clause, baptisée RUFO (Rights upon Future Offers), obligerait l’Argentine à proposer à tous ceux avec qui elle a déjà négocié, un traitement équivalent au meilleur traitement proposé (celui reçu par les fonds vautours en l’occurrence). C’est pour ne pas prendre le risque de voir cette clause se mettre en jeu que le gouvernement argentin a refusé fermement le versement d’1,5 milliard réclamé par les fonds vautours…

Quels sont les risques encourus par l’Argentine en cas de défaut ?

Fuite des investisseurs, hausse brutale de l’inflation (elle est pourtant déjà estimée à 40% pour cette année), baisse de la consommation domestique, nouvelle dévaluation du peso, fuite des actifs en dollars, le scénario annoncé est loin de se montrer fameux mais difficile de dire si elle va se réaliser.

En effet, à l’heure actuelle, la situation reste confuse : le gouvernement argentin parle d’extorsion et continue de chercher des solutions légales pour contourner le jugement Griesa. Une demande d’information vient ainsi d’être déposée auprès de la SEC (Security and Exchange Commission), l’organisme américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers.

 

Et les Argentins dans tout ça ?

Pour l’heure, la conséquence la plus visible de cette nouvelle crise est la baisse du pouvoir d’achat liée à l’inflation… le peso ne cesse de perdre de sa valeur.

Y’a-t-il pour autant un mouvement de panique en Argentine ? Point du tout. Une crise en chasse une autre, et les Argentins gardent le cap… Peut-être parce qu’ils en ont vu d’autres, peut-être parce qu’ils savent que la situation de 2001 était bien pire que celle d’aujourd’hui, les Argentins ne montrent pas de signe de catastrophisme, pour l’heure. Bien sûr, on se plaint, mais on ne perd pas la tête pour autant. Les théâtres sur Corrientes continuent de se remplir…

L’Argentine devrait peut-être gagner la palme de la résilience !

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Quels risques au niveau international ?

La décision du juge Griesa est une pure aberration. Est-ce au nom de la séparation des pouvoirs que l’on doit accepter ce jugement ?  Un seul homme, représentant d’une justice nationale (celle des Etats-Unis), peut-il vraiment à lui seul contraindre un Etat au défaut de paiement et ainsi causer des dommages considérables à ces 46 millions d’habitants ? Ne s’agit-il pas d’un problème politique fondamental ?

Encore une fois, cet arbitrage met les projecteurs sur ce que le système financier international a de plus pervers et de plus écoeurant. Si certes les fonds comme Elliott ou Aurelius prennent des risques lors de l’achat des créances, ce sur quoi ils parient surtout c’est qu’ils parviendront à terme et à force de procès, à saigner à blanc les pays endettés.

Ce sont les Etats rassemblés qui doivent ensemble définir des mécanismes et des instances capables de légiférer sur les problèmes de dette souveraine. Qu’un seul homme, poussé par des fonds sans scrupule, puisse potentiellement mettre un pays à terre est intolérable.

Pourquoi Obama n’a-t-il donc pas signé de tribune sur ce sujet ? Comment ce chef d’Etat sur un sujet aussi délicat que celui-ci n’a-t-il pas pris la parole ouvertement ?

Cette nouvelle crise traversée par l’Argentine devrait être l’occasion d’assainir certaines pratiques du système financier international et d’encourager la création d’un organisme ad hoc, pour éviter à l’avenir des situations de défaut souverain.

La politique est toujours la clé, quoi qu’on en dise. Et cette nouvelle crise argentine, une nouvelle illustration des dérives du capitalisme.

 

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En savoir plus 

La extorsion y después (Pagina 12)

A global system is needed for debt restructuring (Joseph Stiglitz, New York Times)

Argentine, la victoire des fonds vautours (Nouvel Obs)

http://voces.latercera.com/2014/07/22/julio-burdman/argen...

 

En savoir plus le fonds Elliott (sous la plume libérale des Echos, le fonds Elliott deviendrait presque un fonds colombe)

Tout n’est pas dit dans le psychodrame argentin (note de blog du financier George Ugeux)

Sur les risques possibles de la clause RUFO (Clarin)

Un échec à 539 millions de dollars (Libération)

Les négociations sur la dette argentine n’aboutissent toujours pas (Le Monde)

 

 

 

 

 

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