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20/04/2015

La communauté musulmane en Argentine

Avec la cordialité propre aux gens du Proche et Moyen-Orient, Abdul Kader Baradei, un des représentants du Centre Islamique en Argentine, m’a accordé un entretien, au cours duquel nous avons évoqué la communauté arabo-musulmane en Argentine et la situation actuelle au Moyen-Orient.

Les riches saveurs des mets servis au restaurant Al-Zein et la fumée du narguilé nous ont accompagnés au cours de cette discussion qui nous a menés de Damas à Buenos Aires.

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Immigrants syriens en Argentine, en 1902 (source)


Quelles ont été les grandes vagues d’immigration arabe en Argentine ?

Aux alentours de 1900, ont commencé à arriver de nombreux Syriens et Libanais qui fuyaient la pauvreté et les conflits internes. De fait, à l’époque, on ne pouvait pas réellement parler de Syriens et de Libanais, puisque ces régions appartenaient toutes à l’Empire ottoman. Compte tenu de la pauvreté dans laquelle certains vivaient et des persécutions dont d’autres souffraient, nombreux ont été ceux à décider tenter leur chance de l’autre côté du monde.

Quelle était la situation de ces immigrants quand ils arrivaient en Argentine ?

Tout d’abord, il faut se rappeler que de nombreuses familles devaient s’endetter pour payer le voyage. Les jeunes hommes qui arrivaient ici avaient ainsi comme premier objectif d’envoyer de l’argent à leur famille restée au pays, afin de rembourser la dette.

Or, la plupart de ces immigrants d’origine Libano-syrienne avaient un vrai talent de commerçants. Ils ont commencé à monter de petits business souvent ambulants.

Les immigrants arabes, de religion musulmane, avaient-ils une pratique religieuse marquée à leur arrivée en Argentine ?

empire ottoman.jpgJe pense qu’on peut dire qu’ils avaient peu de temps pour cela. À peine arrivés dans un nouveau pays, avec la nécessité de s’adapter, de survivre et d’envoyer de l’argent à leur famille, ils avaient fort à faire pour se faire une place en Argentine tout en gagnant leur vie.

Au-delà du manque de temps, il faut préciser qu’ils n’avaient pas de référents religieux, dans la mesure où il n’existait alors en Argentine aucune structure religieuse représentant l’Islam. C’est pourquoi petit à petit la communauté arabo-musulmane a commencé à fusionner avec la société argentine d’origine européenne.

 Aujourd’hui de combien de membres se compose la communauté arabe en Argentine?

La communauté compte environ 2 millions de personnes d’origine arabe, qui comptent aussi bien des musulmans que des chrétiens.

En dehors des Syriens et Libanais, la communauté arabe en Argentine compte aussi quelques Egyptions, Irakiens et Palestiniens[1].

Existe-t-il en Argentine une forte différenciation entre les différents courants de l’Islam (sunnites, chiites) ?

Il me semble qu’il faut préciser que le sunnisme n’est pas un courant, sinon le respect de la doctrine de l’Islam. C’est pourquoi la grande majorité des musulmans dans le monde sont sunnites. L’apparition des autres « courants », en particulier du chiisme, trouve ses racines dans l’histoire du Moyen-Orient. De fait, le chiisme est né, non pas pour des motifs religieux, mais pour des raisons de conquête du pouvoir à une époque où l’Iran cherchait à étendre sa domination.

En Argentine, les sunnites sont majoritaires, mais ils coexistent avec des chiites et des alawites. Malgré les différences dans la pratique de l’Islam, il n’existe pas de tension entre les différents composants de la communauté.


Sent-on en Argentine une forme de racisme envers la communauté musulmane ? Les attentats contre l’Ambassade d’Israël et contre la AMIA, imputés à l’Iran (même s’il existe aussi une piste syrienne), ont-ils eu un impact ?

Non, de mon point de vue, la communauté arabo-musulmane en Argentine ne souffre d’aucune ségrégation ou racisme, précisément en raison de sa forte intégration[2].

Il faut d’ailleurs rappeler que dans les années 90, l’Argentine a eu un président d’origine syrienne et musulmane, Carlos Menem.

Tout à fait, même s’il faut préciser que Menem s’était converti au christianisme.

 

 

Mosquee Palermo buenos aires.jpg
Mosquée de Palermo (Buenos Aires)

 

 

**

Compte tenu de la quantité de Syriens et Libanais présents en Argentine, continue-t-il d’exister des relations entre cette population et leur pays d’origine (même si l’immigration remonte parfois à près d’un siècle ?!)

Dans certains cas, ces liens sont très distendus. Mais dans d’autres, ils restent très forts ! Il faut souligner que les échanges ont été très intenses au XXe siècle entre ces deux zones géographiques (l’Amérique latine et le Moyen-Orient). Et ceci, notamment parce que de nombreux immigrants ont à un moment donné décidé de rentrer chez eux:

 

  • Le parti Ba’ ath (actif en Syrie et en Irak) a entre autres été créé par des Syriens… nés en Argentine [3]
  • De nombreux artistes et philosophes ont partagé leur vie entre l’Amérique latine (Argentine mais aussi Brésil) et la Syrie

  • Une preuve incontestable de nos échanges interculturels est la coutume du maté ! Le maté est une boisson très populaire en Syrie.

 

consommation maté syrie.png
Consommation du maté dans le monde (en tonnes) - source

 

 

La guerre que connaît aujourd’hui la Syrie a-t-elle contribué à un nouveau flux migratoire vers l’Argentine ?

Des centaines de Syriens sont en effet arrivés au cours des deux dernières années en Argentine, dont la majorité avait déjà de la famille ici et a pu obtenir un visa de réfugié humanitaire.

Le centre islamique aide-t-il ces Syriens?

Oui, tout à fait, nous accordons des bourses aux jeunes qui souhaitent étudier et proposons entre autres des classes de langues pour faciliter l’intégration.

Que pensez-vous de la situation actuelle au Moyen-Orient avec l’émergence d’ISIS?

Bien sûr, la situation est tragique. Elle reflète d’intenses luttes de pouvoirs et d’intérêts à très haut niveau. Pour moi, elle est aussi le résultat de la politique étrangère des États-Unis.


Le « règne de la terreur » doit être observé avec beaucoup de précautions : à qui sert-il ? Quels sont les enjeux géopolitiques et stratégiques ?  Au final, comme toujours, ceux qui souffrent le plus restent les populations civiles. Je dois dire qu’il est difficile aujourd’hui de voir le futur avec espoir.

 

 

Plus d’infos :

La communauté musulmane en Argentine (Pedro Brieger)

La grande mosquée de Buenos Aires (Palermo)

L’immigration arabe en Argentine



[1] Esta estimada la población musulmana argentina a 1 millón de personas, según el Pew Center : http://www.pewforum.org/2011/01/27/table-muslim-populatio...

 

[2] NdA : sur ce point, on peut trouver des avis divergents. En 2001, l’une des mosquées de Buenos Aires, (elles sont au nombre de 3) a été attaquée : http://www.organizacionislam.org.ar/articulos/atentado.htm. Cette mosquée accueille essentiellement des chiites.

 

[3] NdA : Dont le propre père d’Abdul Kader Baradei, Ahmed Amadeo Baradei (dont la vie a été pour le moins aventureuse ! Voir aussi cet article)

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