23/04/2014
García Marquez et Buenos Aires
Quel est le lien entre le prix nobel de littérature colombien et Buenos Aires ? Ce lien est à la fois simple et essentiel : c’est à Buenos Aires que fut publié pour la première fois son chef-d’œuvre « Cent ans de solitude », qui allait le révéler comme l’un des plus grands génies de la littérature latino-américaine du XXe siècle.
Les deux premiers romans de García Marquez, « Des feuilles dans la bourrasque » et « Pas de lettre pour le colonel » sont publiés à Bogota dans la revue « Mythe ». S’ensuivent ensuite les publications de « La Mala hora » et « Les funérailles de la Grande Mémé » à Mexico, aux éditions Era.
Mais c’est vers les Éditions Sudamericana basées à Buenos Aires et dirigées par Francisco Porrúa, que « Gabo » décide de se tourner à l’heure de publier « Cent ans de solitude ».
Dans une lettre écrite en octobre 1965 et adressée à Francisco Porrúa, García Marquez annonçait la fin prochaine d’un grand roman qui l’accaparait déjà depuis des mois (et auquel il pensait depuis des années).
« Je travaille sur mon 5e libre : Cent ans de solitude. C’est un roman très long et très complexe, dans lequel je place mes plus grandes illusions. […] Malgré les difficultés que représente le travail sur ce livre, que j’ai en tête depuis près de 15 ans, je fais actuellement les efforts nécessaires pour qu’il soit achevé au plus tard en mars. Je me suis engagé verbalement depuis environ six mois, mais je vous promets sérieusement que je tenterai de revenir sur cet engagement pour pouvoir signer un contrat avec vous. »
L’écriture durera quelques mois de plus que prévu, et ce n’est qu’en juin 1967 que sortira « Cent ans de solitude ».
Dans une interview de 2007, Porrúa se confiait sur sa première « rencontre » avec García Marquez :
- Combien de temps avez-vous mis pour lire les originaux [le manuscrit] ?
Un jour environ. De toute manière, il ne s’agissait pas d’arriver à la fin pour savoir si le roman pouvait être publié. La publication était déjà décidée avec la première ligne, avec le premier paragraphe.
J’ai simplement compris, ce que tout éditeur sensé aurait compris à ma place : qu’il s’agissait d’un œuvre exceptionnelle.
- Vous avez réellement pensé que « Cent ans de solitude » allait devenir le phénomène qu’il est aujourd’hui, avec des traductions dans tant de langues et autant de rééditions ?
Non, je n’ai pas pensé à ça. Comme éditeur, il n’est pas nécessaire de penser au futur lointain.
Mais l’intérêt que le livre allait susciter à Buenos Aires, ça oui, je l’ai vu et senti, parce que Buenos Aires était à ce moment dans une période curieuse, étrange.
Il y avait un gouvernement autoritaire et en même temps des gens qui vivaient « pour leur compte » ; par exemple, il y avait alors un courant pictural très riche, des débats sur la nouvelle poésie… Autrement dit, il y avait plusieurs éléments à Buenos Aires qui en faisaient l’une des vraies métropoles du monde, aux côtés de Rio, New York.
Il me semblait que le climat qui régnait alors était approprié […]. En 1967, Buenos Aires était la seule ville où ce phénomène [littéraire] pouvait se produire. »
L’écrivain argentin Tomas Eloy Martinez raconta aussi ce premier contact avec l’œuvre magistrale de García Marquez, ainsi que leur rencontre physique à l'été 1967 à Buenos Aires :
« Mi-avril 1967, le directeur éditorial de Sudamericana, Francisco Porrúa, m’a téléphoné avec une voix exaltée : « Tu dois venir tout de suite chez moi et lire un livre extraordinaire » m’a-t-il dit. « Il est tant délirant que je ne sais pas si l’auteur est un génie ou s’il est complètement fou ».
[…] En juin, l’hebdomadaire dont j’étais directeur de la rédaction consacra sa une à « Cent ans de solitude », le consacrant comme « le grand roman de l’Amérique », avec une critique que j’écrivis moi-même. Le succès des ventes de la première semaine avait été inhabituel -800 exemplaires pour l’œuvre d’un inconnu -, mais il se multiplia par trois la semaine suivante, quand fut publiée l’hebdomadaire. Les deux premières éditions –environ 11 000 copies- furent épuisées en moins d’un mois. Quand García Marquez arriva à Buenos Aires le 19 août, son roman était depuis déjà 6 semaines en tête des ventes.
[Après 2 ou 3 de jours de déplacements « anonymes » dans la ville, García Marquez, son épouse et Eloy Martinez se rendent au théâtre]. C’était la première des Siamois, une de meilleures œuvres de la dramaturge argentine Griselda Gambaro. Nous sommes entrés dans la salle peu avant que le rideau se lève, avec les lumières encore allumées. Garcia Marquez et Mercedes […] étaient sur le point de s’asseoir quand un inconnu cria « bravo ! bravo ! » et commença à applaudir. Une femme prit la suite « Pour votre roman, García Marquez ! ». En entendant son nom, la salle entière s’est levée et entama une longue ovation. À cet instant précis, j’ai senti que la célébrité descendait du ciel et se posait sur les épaules du romancier, comme si elle était une créature vivante.»
- Lire l’interview intégrale de Francisco Porrúa (en espagnol)
- Lire l’entretien complet de Eloy Martinez (en espagnol)
Traduction des textes (espagnol-français) : Isabelle Laumonier
04:00 Publié dans Culture argentine, Divers Amérique latine | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : garcia marquez, gabo, buenos aires, francisco porrua, editions sudamericana, cent ans de solitude | Facebook | | |
Commentaires
Par superstition, disait-il, -celle de voir son immense renommée soudaine s'en aller ?-, Gabo ne remit jamais les pieds à Buenos Aires. Pour que ce souvenir de gloire éclatante et soudaine soit figée dans l'éternité.
Écrit par : isabelle | 23/04/2014
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