22/03/2014
La question des terres en Patagonie – Les ventes aux étrangers (1ere partie)
Qui n’a pas déjà entendu parler des ventes massives de terres dans le Sud de l’Argentine ? L’Argentine bradée à des étrangers, c’est un sujet qui revient régulièrement sur le tapis : les frères Benetton, Ted Turner ou encore Douglas Tompkins possèdent ainsi des milliers d’hectares en Patagonie.
Paysage de Patagonie
Mais les enjeux ne s’arrêtent pas à la question de savoir si les terres argentines passent entre des mains étrangères. Des richissimes Argentins sont également propriétaires de terrains colossaux. Parmi les scandales majeurs liés à la question des terres, on doit avant tout pointer du doigt la question de l’accès à l’eau, ainsi que les abus de biens publics.
Nous vous proposons un dossier en 3 parties :
- Les ventes aux étrangers
- L’accès à l’eau en Patagonie
- Les abus de biens publics dans l’État de Santa Cruz
L’Argentine vend-elle son âme ?
Vous partez en vacances en Patagonie ? Si vous allez d’El Calafate à El Chaltén, vous ne manquerez pas d’être surpris par ces barrières, qui sur des centaines de kilomètres barrent l’accès aux terres, de part et d’autre de la route. Des milliers d’hectares de terrains arides –c’est la steppe patagonienne- sont ainsi mis hors d’accès, sauf pour les guanacos qui passent allègrement par-dessus… liberté sauvage…
Les étrangers sont très souvent montrés du doigt. À raison ?
Barrières sur la route vers El Chaltén
Ces étrangers qui « phagocytent » l’Argentine…
La vente de terrains à de riches étrangers est un phénomène qui a commencé sous le gouvernement Menem et qui a perduré après la crise de 2001. À l’heure actuelle, le plus grand propriétaire terrien étranger en Argentine est Luciano Benetton, qui détient près d’1 million d’hectares. Il est suivi de Douglas Tompkins (créateur de la marque North Face), de Ward Lay (propriétaire de Lay’s et patron de Pepsi) et de Ted Turner (CNN), qui à eux trois totalisent environ 300 000 hectares de terres.
Pour bien comprendre les dimensions que cela représente : 1 million d’hectares correspond à 10 000 km2, soit 3 fois la superficie du Luxembourg. Évidemment, c’est beaucoup pour une même personne…
La plupart des terres appartenant ainsi à des particuliers étrangers se situent en Patagonie (États de Santa Cruz, Neuquèn, Chubut et Terre de Feu).
Benetton utilise ses terres patagoniennes pour l’élevage ; Ted Turner et Ward Lay assouvissent leur passion de la pêche (hum hum), quant à Douglas Tompkins, il œuvre avant tout à la protection de l’environnement (il a déjà fait don de plusieurs milliers d’hectares au Parc National Los Glaciares et a créé un parc marin dans la partie atlantique de la Patagonie, le Parque Nacional Monte Léon).
Le cas des riches particuliers est malgré tout l’arbre qui cache la forêt…
Si l’on regarde à une échelle plus globale, les études sur le sujet estiment que 10% des terres argentines appartiennent à des étrangers, soit près de 300 000 km². Les propriétaires les plus massifs sont des multinationales agricoles et minières.
Dans les années 2000, de nombreuses voix se sont élevées contre les ventes aux étrangers. Cela a fina-lement abouti au vote d’une loi : la « Ley 26.737 Extranjerización de la tierra », promulguée en 2011. Cette loi définit que les ventes de terres argentines aux étrangers ne devront pas dépasser les 15% du territoire national (c’est déjà considérable !), et que les personnes physiques ou juridiques d’une même nationalité, ne pourront pas détenir plus de 30% du total des terres accessibles aux étrangers. La loi limite également les possessions d’un étranger en un lieu donné à 1000 hectares.
Encore une fois, on se demande si cette loi est réellement utile, notamment ce dernier point limitant à 1000 ha les possessions étrangères en un lieu donné, puisque chacun sait que les propriétés actuelles ne recouvrent pas 1000, mais des milliers d’hectares !
En juillet dernier, Cristina Kirchner s’est cependant félicitée du bon fonctionnement de cette loi. Selon elle, les terres argentines appartenant aux étrangers ne dépasseraient pas les 6%... Et ce alors, même que les études les plus reprises (notamment de la Fédération agraire argentine) établissent déjà à 10% ces ventes étrangères. Difficile de savoir où se situe le vrai…
Enjeux locaux des ventes de terres
En Patagonie, les terres vendues se situent très souvent sur les terres ancestrales de tribus indiennes. Une fois acquises par des personnes physiques ou juridiques, elles deviennent souvent totalement inaccessibles. De très fréquents conflits opposent ainsi les Mapuches aux grands propriétaires (mais le plus souvent, ce sont des compagnies minières ou agricoles).
D’autre part, les ventes massives de terres sont à l’origine de problèmes socio-économiques de taille : les petits cultivateurs ou éleveurs ne sont plus en mesure d’accéder à la terre (et ceci est probablement plus vrai encore pour le nord de l’Argentine que pour la Patagonie). L’Argentine, terre d’inégalités…
Et si on cessait de diaboliser l’étranger ?
Il convient tout d’abord de souligner que le problème réel, la vente de terrains grands comme des départements ou des régions françaises, n’est pas né dans les années 90 avec les étrangers !
L’Amérique latine, depuis l’arrivée des Espagnols, s’est construite avec d’immenses propriétaires terriens (on parle de latifundia > et dans le cas argentin, des estancias). Et de fait, comme le souligne Gonzalo Sanchez, les terres qui appartiennent maintenant à des étrangers étaient autrefois des terres de grands propriétaires argentins (Blaquier, Montero, etc.) ; elles étaient alors tout autant, voire plus, inaccessibles qu’elles ne le sont aujourd’hui.
D’autre part, il faut rappeler que parmi les plus grands propriétaires terriens d’Argentine, on retrouve de nombreuses grandes familles locales : Fortabat, Anchorena, Perez Companc, Bemberg… Si aucun d’eux ne possède le faramineux million d’hectares de Benetton, ils n’en demeurent pas moins propriétaires de zones extrêmement vastes.
Mais plus que tout, que révèlent les achats de terres par des étrangers ? La corruption des gouvernements locaux, bien sûr. Dans son ouvrage « Patagonia vendida », Gonzalo Sanchez souligne que contre financements, il est possible d’acheter des terres partout en Argentine et de la taille qu’on souhaite, y compris dans des parcs nationaux.
Au-delà, ces ventes révèlent la grande faiblesse de l’État qui n’est jamais intervenu pour empêcher des ventes colossales. Et bien sûr, personne n’est dupe sur les effets réels de la loi de « extranjerizacion de la tierra ». Quand on sait que les terres vendues recèlent comme ressources naturelles considérables, on peut se demander ce que fait l’Etat argentin pour leur protection…
Parmi ces ressources, l’une des plus précieuses : l’eau…
On vous en parlera dans le 2e volet de ce dossier !
Photos : Isabelle Laumonier
18:44 Publié dans Economie argentine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : patagonie, vente de terres, propriétaires étrangers, benetton, tompkins, turner, patagonia vendida, mapuches, extranjerizacion de la tierra | Facebook | | |
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