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16/10/2012

Entretien de Jean-Luc Mélenchon dans Pagina 12

Jean-Luc Mélenchon, Pagina 12, Martin Granovsky, révolution citoyenne, Chavez, Lula, Kirchner, mariage égalitaire, avortement, banque centrale, retraite par capitalisation, action populaireLe leader du Front de Gauche était ces derniers jours à Buenos Aires pour participer à un colloque international « Le défi de la politique dans un monde multipolaire ». Il a accordé à Martin Granovsky, journaliste au quotidien de gauche Pagina 12 un entretien exclusif, dont nous traduisons ici quelques extraits significatifs.

[Dans une première partie de l’interview, JL Mélenchon explique en quoi consiste la « révolution citoyenne », basée sur la prise de conscience qu’il n’existe qu’ « un seul et unique écosystème compatible avec la vie humaine » et qu’il existe bel et bien un intérêt général. Cette révolution citoyenne est menée par le peuple lui-même à travers cette prise de conscience. Jean-Luc Mélenchon précise que cette idée de révolution citoyenne n’a pas été inventée en France ; elle a surgi en Amérique latine qu’il présente comme un modèle.]

-        L’Amérique du Sud, à la différence du chemin emprunté dans vos pays [“développés”] construit à l’heure actuelle, un Etat fondé sur le bien-être. L’Europe à l’inverse semble en train de détruire l’Etat de bien-être. Peut-on parler d’un moment de citoyenneté [en Amérique latine] ?

-      Un grand moment. De citoyenneté et de civilisation. Aujourd’hui, nous reculons en Europe. En France, il y avait autrefois une culture politique et géopolitique très importante, avec un vrai intérêt pour l’Amérique latine, en raison des liens culturels et des grands-parents communs. Aujourd’hui, il n’y a presque plus rien de tout ça.

 

-      Comment expliquer cette évolution négative ?

-      Par la diabolisation des révolutions citoyennes en Amérique du Sud. Pour que se taisent les peuples d’Europe, il faut les convaincre que rien de bon ne peut se passer dans aucun autre endroit du globe. Chavez est un diable. Kirchner aussi. A peine moins que des Cubains dissimulés. L’ignorance est totale sur les programmes et les réalités. Nous les Français ne savons rien de ce qui se passe avec la modernisation de l’Argentine.

 

-       Se rajoute à cela, pour le Brésil, une diabolisation à l’envers. Pour désacréditer Lula, la droite européenne le présentait élogieusement comme le conservauteur qu’il n’est absolument pas.

-      Effectivement. Lula a été sanctifié par certaines voix européennes, quand elles ont vu que l’influence de Chavez continuait de se développer. Elles ont inventé l’image d’une gauche tranquille qui ne faisait rien de mal. […] Mais un jour apparut la vidéo de Lula appelant à la victoire de Chavez. Le jour suivant, et sans aucune honte, on expliquait que Lula était un sans-gêne et un alcoolique. Peu importe la vérité. Ne compte que la propagande. C’est pourquoi personne ne s’intéresse à ce qui se passe en Argentine. […] Je crois que la prise de contrôle du pétrole par l’Etat a été l’une des rares fois au cours des 5 dernières années où une nouvelle argentine est sortie dans la presse française. Une autre peut-être a été la solidarité avec les pauvres et misérables paysans en 2008 qui ne voulaient pas payer de droits pour exporter leur soja… Rien sur le mariage égalitaire, rien sur la réforme de la loi organique de la Banque centrale, que vous avez mis en place et que nous réclamons pour la BCE, rien sur le venin que représente la retraite par capitalisation et la façon dont l’Argentine y a mis un terme. Vous ne savez pas à quel point vous avez à travers ces différents sujets pris de l’avance sur le monde d’aujourd’hui.

 […]

-       Une discussion de la gauche classique est de savoir quel type de crise traverse le capitalisme. Une crise terminale ? Je vous demande comme homme de gauche de quelle crise il s’agit.

-       Une crise très classique. Seulement un conflit pour la distribution de la richesse. Mon pays est plus riche que jamais. Mais la richesse continue de passer de plus en plus du travail au capital. Où est passé l’argent de la France ? Il est désormais dans la sphère financière qui vit sa vie à part, et de temps en temps quand survient une crise importante, transforme l’argent en fumée. La Banque centrale, pour comble, ne veut pas prêter un seul euro à aucune des banques centrales des Etats. Mais elle a prêté des millions et des millions aux banques pour qu’elles se refinancent. Les banques ont obtenu de l’argent bon marché et l’ont ensuite remis sur le marché à taux élevé.[…] Elles croient qu’il y a une manière unique de gouverner la société et l’économie. Et dans les faits, on voit le parasitisme social de certains qui vivent toujours mieux, pendant que de nombreux autres vivent toujours plus mal. L’Amérique latine a idéalisé l’Union Européenne ? Mais où sont les instances démocratiques du Mercosur ? L’intégration économique ne conduit pas automatiquement à une intégration citoyenne. Au contraire. Le capital accepte l’intégration à condition qu’il y ait de le moins de régulation possible. Maintenant en Europe, avant d’examiner le projet de budget dans les parlements nationaux, il faut le présenter à la commission européenne pour qu’elle approuve le niveau de déficit. Si ce n’est pas le cas, elle le coupe. […]

[…]

-      Comment arrêter [le cercle vicieux de nos pays en crise] ?

-       Encore une fois : par l’action populaire. Aujourd’hui les gens ne comprennent rien à la question de la dette. Il faut expliquer, informer, provoquer la réflexion, travailler avec humour, lever le voile sur ce sujet. Tout va se passer comme en Argentine. A un moment, les gens ne comprenaient rien, non ? Et l’instant suivant, ils ont senti qu’on leur sautait à la gorge. […]
Durant les manifestations, les gens s’approchent de moi et me demandent de faire quelque chose. Que puis-je faire si je n’ai aucun pouvoir ?
A Buenos Aires, il y a moins de gens dormant dans la rue qu’à Paris, et nous sommes la 5e puissance du monde. Dans certains quartiers n’entrent ni les policiers, ni les pompiers. En Europe, nous commençons à connaître ce que les latino-américains connaissent déjà : l’action des cartels de la drogue. Ils tuent dans la rue. C’est quelque chose auquel nous ne sommes pas habitués. Cela me fait beaucoup de peine pour mon pays.

 

-      En quoi consisterait votre action si vous étiez au gouvernement ?

-      Tout d’abord, je n’irai pas demander des permissions à Madame Angela Merkel. Je ne lui demanderais pas si elle est d’accord avec ce que je veux faire. […] Ensuite, je travaillerais au changement du statut de la Banque centrale européenne. Cela serait le premier outil pour financer le développement et la récupération de l’activité économique. Et après, cette radicalité concrète que j’ai mentionnée. La planification écologique. Le soin de ne pas détruire la planète et nous-mêmes. Nous sommes face à une urgence ! Mais nous souffrons de leaders qui ne savent pas comment est le monde et que faire pour l’améliorer.

 

(Un des autres points abordés au cours de cet entretien dense –et parfois confus !- a été la question de l’avortement. Jean-Luc Mélenchon a déclaré à ce propos : “Pour moi, le retard sur le droit à l’avortement est l’aspect le plus négatif des révolutions citoyennes en Amérique du Sud. Et ce n’est pas un thème anodin puisqu’il est en lien direct avec la conception que nous avons de l’être humain”).

Beaucoup de sujets polémiques ont ainsi été abordés. Toutefois, ni les problèmes de corruption, ni les inégalités majeures ou le développement constant des villas, ni le malaise de la classe moyenne, n’ont surgi dans ces échanges entre Martin Granovsky et le patron du Front de Gauche.

Et pour vous, l'Amérique latine représente-t-elle un modèle d'avenir ?