02/11/2012
Jorge Luis Borges : l’âme littéraire de Buenos Aires
** Aujourd'hui, Les Chroniques de Buenos Aires laissent la plume à Gérard Provost, qui nous propose un portrait de Jorge Luis Borges, figure incontournable de la littérature argentine. **
Buenos Aires est intimement liée à Borges comme Lisbonne l'est à Pessoa ou Kafka à Prague, fusion passionnelle entre un écrivain et sa ville.
Une passion : les livres
Né en 1899, Borges est un descendant de Juan de Garay qui fonda Buenos Aires en 1580. Il fut profondément marqué par la culture anglaise de son père et considérait que l'élément majeur de sa vie fut justement la bibliothèque de celui-ci : « Je pense que je n'en suis jamais sorti ». Ironie du destin, lorsqu’à la cinquantaine il devint aveugle, il fut nommé responsable de la Bibliothèque Nationale de Buenos Aires (après avoir été humilié par la junte militaire qui en avait fait un « inspecteur des lapins et volailles ») : « 900 000 livres et pas d'yeux » dira-t-il.
De sa cécité il fera cependant un bienfait, un moyen de voir en dedans et au-delà, une façon d'enrichir sa clairvoyance et sa sagesse. « Les pas que fait un homme de sa naissance à sa mort dessinent dans le temps une figure inconcevable » écrira-t-il (Sartre évoquera aussi cette même idée : « L’homme surgit dans l’Univers et y dessine sa propre figure »).
Une écriture marquée par la ville natale
Borges a défini une écriture proprement porteña, éloignée de la littérature européenne. De ses années passées en France, Suisse, et Espagne, de 1914 à 1921, il prétendra d’ailleurs qu’elles n’étaient que des illusions.
Son amour pour sa ville est une constante dans ses écrits. Ses poèmes jaillissent au cours de ses longues promenades à Palermo, épicentre de ses sensations. Jeux d'ombres et de lumières sur fond de couleurs, frontières entre son quartier, sa ville, les faubourgs et l'énigmatique Pampa.
« A cette heure où la lumière a une finesse de sable, je me trouvais dans une rue ignorée... Des couleurs tendres comme le ciel qui émouvait le fond... »
« Buenos Aires est plus qu'une ville, c'est un pays à soi seul » où vit le personnage emblématique du compadrito (équivalent urbain du gaucho), toujours en duel dans le tango et le combat à l'arme blanche : « Le voilà mort, les souvenirs vont s'estomper, voici la fin des vieux quartiers de Palermo, des terrains vagues et du couteau »…
Borges, bien que profondément argentin, n’hésitait toutefois pas à livrer une vision lucide de ses compatriotes : « L'Etat est impersonnel, l'Argentin ne conçoit des rapports que personnels, c'est pourquoi à ses yeux, voler les deniers publics n'est pas un crime ».
Borges, l’homme et sa postérité
On sait peu de choses de sa vie sentimentale. Après avoir passé de très longues années avec sa mère, Borges se maria à l’âge de 68 ans avec Elsa Astete dont il se sépara en 1970. Cinq ans plus tard, il rencontra Maria Kodoma de trente ans sa cadette, qui devint rapidement sa complice intellectuelle. Il l’épousa en 1986, l’année de sa mort.
La tombe de Borges, de manière paradoxale, n'est pas à Buenos Aires, mais au cimetière de Plain-Palais à Genève où il est décédé. Très malade il semble qu’il soit retourné à Genève sur l’insistance de Maria Kodoma, c’est en tous cas ce qu’affirma Adolfo Bioy Casarès, son plus proche ami. La pierre tombale fut conçue par son épouse, « la veuve intraitable », et fait référence au récit "Ulrica", extrait du « Livre de sable ».
Photo : Christian Lasseur
Deux ans après le décès de Borges, Maria Kodoma, légataire universelle, créa la Fondation Borges, dont l’objectif est de diffuser son œuvre et d’encourager la création littéraire en attribuant chaque année le prix international Jorge Luis Borges.
Une chose est sûre, l’amour absolu de Jorge Luis Borges fut bien son quartier de Palermo et sa cité, Buenos Aires « la ville au fleuve immobile » : « J'ai senti Buenos Aires, cette ville que j'ai cru mon passé et mon avenir, mon présent, toujours j'étais et je serai à Buenos Aires ».
14:22 Publié dans Culture argentine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : borges, maria kodama, bioy casarés, tombe de borges, bibliothèque, passion de borges, buenos aires, palermo, littérature argentine | Facebook | | |