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25/03/2015

L'avant-garde contre le néo-libéralisme

Le journal Pagina 12 a fait paraître il y a peu un résumé de la conférence magistrale de Noam Chomsky,  à l’occasion du Forum pour l’Emancipation et l’Egalité . Le célèbre philosophe américain y est notamment revenu sur les espoirs qui se font jour en Amérique Latine depuis 2 décennies, dans leur  résistance face à l’impérialisme américain. Selon lui, un vrai virage est désormais entamé : le pillage systématique du continent qu’avait notamment dénoncé Eduardo Galeano dans son ouvrage de référence « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », serait-il en train de prendre fin ? 

Noam Chomsky Forum Emancipation et Egalité.jpg


À peine les applaudissements de bienvenue s’étaient-ils arrêtés dans le théâtre Cervantès, que Noam Chomsky, sérieux et concentré, a commencé à lire ce qui serait la conférence magistrale du Forum pour l’Émancipation et l’Égalité. Avec une rhétorique classique, il a tout d’abord présenté le sujet de son intervention : un bilan historique et géopolitique, à 70 ans de l’armistice de 1945. « Un des développements les plus spectaculaires de cette période s’est produit en Amérique latine. Pour la première fois en l’espace de 500 ans, l’Amérique latine a fait des pas significatifs vers sa libération de la domination impérialiste » a affirmé l’intellectuel et militant de gauche américain, dans l’unique digression de son discours, présenté devant un théâtre plein à craquer. « Ce sont des développements d’un sens historique très profond - a-t-il continué- qui incluent des pas importants vers l’intégration et vers la capacité à affronter des problèmes internes très graves, qui jusqu’alors avait empêché la croissante saine de ce qui devrait être l’une des régions les plus dynamiques et prospères du monde ».

Chomsky, 86 ans au compteur, a proposé un regard global, mais avec un focus sur les États-Unis, leur ascension et leur déclin. Il a illustré son propos à partir du contraste entre deux conférences régionales : la conférence de Chapultepec (Mexique) en 1945 et la conférence de Carthagène des Indes (Colombie) en 2012. Ces deux conférences « radicalement différentes » témoignent des profonds changements historiques qui se sont déroulés dans cet intervalle de près de 70 ans.

À la fin de la 2nde Guerre mondiale, alors que les pays qui étaient entrés dans le conflit comme “grandes puissances” en sortaient sévèrement diminués, les États-Unis ont commencé à croître exponentiellement et sont parvenus à concentrer « la moitié de la richesse du monde ». Ils ont multiplié leur pouvoir belliqueux (avec la bombe atomique) et ont étendu leur contrôle sur tout le continent américain et les deux océans qui le bordent. Sur cette base, les dirigeants nord-américains (Chomsky a parlé concrètement du personnel du Département d’État) ont décidé d’« organiser le monde pour satisfaire les nécessités des secteurs dominants des États-Unis, c’est-à-dire les secteurs corporatifs ». Ils sont ainsi parvenus à « détenir un pouvoir indiscuté », qui visait obstruer la souveraineté de tout autre État, pouvant entrer en compétition avec les États-Unis.

La réorganisation du globe avait notamment pour objectif de “restaurer l’ordre en Europe”, ce qui impliquait de “détruire la résistance antifasciste compromise avec la démocratie radicale”. Pour définir « les règles du jeu en Amérique latine », fut convoquée la conférence de Chapultepec, en 1945, où fut promue « l’élimination du nationalisme économique, à l’exception de celui mis en œuvre par les États-Unis ». But évident : assurer le bon rendement des investissements nord-américains. Comme l’a rappelé Chomsky, l’Amérique latine était pour les gouvernants américains « notre petite région de par là-bas », pour reprendre la définition d’Henry Stimson, alors secrétaire à la guerre des États-Unis.

C’est une autre relation de forces qu’a décrite le linguiste et professeur du MIT pour les débuts du 21e siècle. À la conférence de Carthagène, en 2012, il n’y eut aucune déclaration de consensus, car les États-Unis et le Canada sont restés sur une position d’isolement, encerclés par la posture majoritaire de la région sur 3 questions :

  • Cuba
  • La lutte contre le narcotrafic
  • Les réclamations argentines sur les îles Malouines

« Tout ceci était impensable il y a quelques années », a rappelé Chomsky. « La comparaison de ces conférences permet d’observer la décadence des États-Unis. Comment s’est produit ce déclin ? Pour Chomsky, c’est le résultat du long processus qui était déjà en germe en 1945. Le présupposé tacite selon lequel les États-Unis étaient les maîtres du monde s’est peu à peu effrité. « La décadence était inévitable à mesure que le monde industriel se rétablissait (après la 2nde Guerre mondiale) et qu’avançait le processus de décolonisation ».

Noam Chomsky a ensuite tenté de montrer l’imposture américaine ébauchée pour justifier le déploiement militaire et la menace latente de nouvelles incursions belliqueuses. « Que s’est-il passé à la fin de la Guerre froide ? » s’est-il interrogé ». Les gouvernements successifs des États-Unis ont maintenu la pression militaire, « non pas pour affronter l’Union Soviétique, sinon pour affronter les puissances du Tiers-monde ». L’idée dominante aux États-Unis reste la même et Chomsky l’a décrite avec une ironie subtile comme « une préoccupation pour le nationalisme radical qui se trompe en pensant que les principaux bénéficiaires de la richesse d’un pays doivent être les citoyens de ce pays et non les investisseurs des États-Unis ».


Voir la conférence en vidéo

Depuis la fin des années 70, cette idéologie s’est traduite par “une attaque néolibérale, une attaque mondiale contre les droits de l’homme” et une ingénierie bureaucratique organisée pour protéger les grandes banques et entreprises des crises récurrentes du capitalisme… crises dont les coûts sont transférés à l’ensemble de la société. « L’Amérique latine –a-t-il ajouté- a été à l’avant-garde de cette lutte contre l’attaque néo-libérale ».

La fin de la conférence a été marquée par le postulat de risques apocalyptiques. « L’espèce humaine est au bord du précipice. Deux ombres cernent l’humanité : la guerre nucléaire et la catastrophe environnementale. Au cours des dernières années, ces menaces ont augmenté. Pour la première, nous connaissons la réponse : il faut éliminer les armes nucléaires », a affirmé Chomsky, très applaudi.

Mais il a rappelé que les États-Unis ont annoncé des investissements en millions de dollars pour moderniser leur armement nucléaire. Chomsky ne s’est pas montré plus optimiste sur les problèmes environnementaux générés par l’activité de l’homme. Il s’est notamment référé à l’extraction des énergies fossiles. « Il n’est pas sûr du tout que nous saurons comment dépasser une catastrophe environnementale, mais il est indispensable de s’y préparer, si l’homme veut réellement continuer à vivre sur cette terre. »

 

Article de Javier Lorca

 

Traduction : Isabelle Laumonier

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