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05/03/2012

Buenos Aires : une architecture en liberté

Entretien avec Patricio Pouchulu

Patricio Pouchulu est architecte diplômé de l’Université de Buenos Aires (1990) et titulaire d’un Master en Architecture du University College London (1998). Il a enseigné l’architecture à la UBA, à Londres et à Münich.

Patricio, avant de parler de l’architecture porteña, pourriez-vous nous dire ce qui vous a conduit à ce métier ? Comment êtes-vous devenu architecte ?

Patricio-Pouchulu-Buenos-Aires.jpgJ’ai toujours été sensible à la notion d’espace. La lumière, les paysages, la stimulation des sens m’ont toujours intéressé comme expérience vécue. De plus, l’idée de construire, de créer, m’a très vite attiré. Et comme par ailleurs, dès l’âge de 5 ans, j’ai commencé à dessiner, peu à peu la carrière d’architecte est apparue comme une évidence. Transformer une idée en formes, en objets, en espace à vivre, à travers le dessin, voilà qui constitue sans doute le socle de mon orientation.

Je dois rajouter que mon père était cinéaste et ma mère peintre, et qu’un des mes arrières-grands-pères était architecte. Cet environnement familial a sans aucun doute compté, tout comme le fait de naître à Buenos Aires. Naître ici, c’est être confronté dès son plus âge à l’architecture dans tous ses états : on est environné d’immeubles, de constructions, de bâtiments…

  •  Le point de vue de Patricio Pouchulu sur la formation et le métier d’architecte:

"Je me souviens de mes années d’études à l’UBA. Ce qui était très particulier, c’est qu’on ne sortait jamais visiter la ville, voir les édifices. L’architecture s’apprenait uniquement dans les livres. En tant que professeur, j’ai toujours fait en sorte d’emmener les étudiants découvrir de visu les bâtiments, les ensembles étudiés. Rien ne vaut l’expérience directe pour comprendre l’architecture !"

"Je continue à beaucoup dessiner à la main, ce qui est aujourd’hui assez anachronique. Beaucoup de collègues n’utilisent plus que l’ordinateur pour élaborer les dessins et les plans. De mon point de vue, cela contribue à déshumaniser l’architecture, à la rendre plus impersonnelle, plus robotisée. Cela se retrouve ainsi dans le processus de la critique. Il est aujourd’hui fréquent que les œuvres architecturales soient discutées, commentées, critiquées, sans qu’elles soient même visitées. Encore une fois, on perd une chose essentielle : l’expérience vécue."

"En ce qui me concerne, tous les jours et à toute heure, j’écris et je dessine dans des petits cahiers moleskine. Je transfère ensuite les dessins sur des feuilles plus grandes, les scanne et les analyse. Avec les jeunes architectes de mon cabinet, nous travaillons ensuite sur des dessins à partir du logiciel BIM. Une fois ces différentes étapes franchis, nous élaborons les maquettes. Je dessine et peins toutes mes perspectives à la main ; cela prend beaucoup de temps, mais cela rend ces pièces vraiment uniques. Elles dégagent une âme que n’ont pas les dessins digitaux. Depuis 25 ans, je lutte contre la progressive disparition du tracé à la main. La reconnaissance des clients et de la communauté internationale, par rapport à mon travail « à l’ancienne », est une vraie satisfaction."


Selon vous, quelles sont les caractéristiques principales de l’architecture à Buenos Aires ?

Je dirai qu’un point fondamental est le fait que cette ville soit en constante évolution, en constante rénovation. Les Porteños ont toujours aimé suivre la modernité.

Ce qui est important à Buenos Aires, c’est l’unité architecturale représentée par la manzana (NdA : Buenos Aires comme toutes les villes d’Amérique est construite sur la base d’un plan à damier, au centre duquel se trouve la place d’Armes. Une manzana correspond à un carré du plan). Chaque manzana est un univers qui est une somme d’univers différents.


Précisément, d’un point de vue extérieur, on a souvent l’impression qu’il n’y a aucune harmonie architecturale à Buenos Aires. Un immeuble néo-classique peut-être voisin d’un bâtiment de 10 étages en béton, lui-même voisin de petites maisons individuelles. Comment a-t-on abouti à ce résultat ?

barracas 1.JPGIl n’y a pas eu à Buenos Aires de travail de zonification, ou d’urbanisme à proprement dit. Ce qu’il y a de très spécial à Buenos Aires, c’est que la ville a réellement explosé fin 19e – début 20e. L’immigration européenne massive a sans doute été un facteur de « désorganisation » de l’architecture. Il fallait avant tout construire pour accueillir tous ces nouveaux habitants.

De plus, l’Argentin manifeste souvent une attitude très individualiste. On s’occupe de son bâtiment et pas de celui de son voisin. Peu importe que la juxtaposition ne soit pas harmonieuse. Cela reflète peut-être une forme de liberté excessive.


Mais n’y-a-t-il pas des règles fixées par des agences gouvernementales ?

Le gouvernement en général délimite des espaces, mais à l’intérieur des espaces, c’est la liberté personnelle qui prévaut. Toutefois, il y a quelques quartiers, où effectivement des règles architecturales doivent être respectées : c’est le cas de Barrio Norte, Recoleta, Diagonales. Ce sont les quartiers « institutionnels ». Ailleurs, on voit que c’est un semi-chaos qui règne.


Et que pensez-vous de ceux disent que Buenos Aires ressemble à Paris ? Pour un Français cette comparaison est parfois étrange.

1.cathedrale 25 décembre.JPGAu tournant du 20e siècle, l’Argentine s’est inspirée du courant néo-classique qui régnait en Europe depuis déjà 2 décennies. Ce style reflétait directement le pouvoir à travers ses lignes majestueuses. Jusqu’aux années 1920, se sont donc construits à Buenos Aires de très nombreux édifices néo-classiques. C’est d’ici que vient la comparaison avec Paris.

Puis le modernisme a fait son apparition en Allemagne, en France, en Italie… Et Buenos Aires, qui comme je le disais au début, est une ville en constante rénovation, a suivi le mouvement. Du coup, cette ville qui au tournant des années 20, avait quelque chose de très parisien dans ses constructions Place fac de médecine.JPGnéo-classiques, a commencé 10 ans après, à détruire ce qu’elle venait de construire, pour s’orienter vers le courant moderniste. Pour construire moins cher et dans une visée architecturale plus « sociale », on a supprimé les ornementations, simplifié les lignes, etc. Le style néo-classique était soudain le représentant d’une époque révolue.

La matrice architecturale de Buenos Aires se fonde ainsi sur la double influence néo-classicisme/ modernisme.


  • L’Argentine et les architectes: "Si l’on devait citer un grand architecte argentine, on parlerait sans doute de Clorindo Testa. Mais de fait, en Amérique latine, c’est le Brésil qui au cours de ces dernières décennies a eu l’influence la plus importante. Entre 1950 et 1970, en particulier, sont apparus des architectes dont la renommée allait devenir internationale, le premier d’entre eux étant Oscar Niemeyer. L’Argentine, elle, est surtout un pays d’artistes plastiques."

 

Aujourd’hui, à Buenos Aires, on compte de nombreuses villas installées en pleine ville. Pensez-vous qu’elles feront un jour partie du patrimoine architectural ?

Les villas sont ni plus ni moins que des ghettos. Celles qui sont installées en pleine ville constituent un véritable délire. Elles se sont étendues de manière considérable, sans contrôle aucun des autorités et sans recherche de solution durable pour les populations qui les habitent. La villa 31 est un exemple dramatique de villa qu’on a laissé se développer en plein cœur d’un nœud de transports. Il paraît absolument nécessaire de réfléchir à des solutions de relogement, doublées de mesures sociales efficaces.

La solution pourrait être de créer de nouvelles manzanas, à vocation sociale. Il faut d’ailleurs souligner qu’une des pépites architecturales de Buenos Aires est l’ancienne cité HLM installée en face du Parque Los Andes. Peut-être que ceci pourrait constituer une inspiration pour trouver une issue à la question des villas.


En tant qu’architecte, quels sont vos édifices, vos quartiers ou vos rues préférées de Buenos Aires ?

av Libertador.JPGL’avenue qui relie la Boca à Palermo sur près de 10 kms est particulièrement intéressante. On peut y découvrir une succession de monuments néo-classiques d’une grande beauté. Partez depuis le parc Lezama, passez ensuite par la Casa del Gobierno, Puerto Madero, la Plaza San Martin, et l’avenue Libertador.

A Buenos Aires, je recommande aussi d’avoir souvent les yeux en l’air. La ville est plus intéressante à partir du 2e étage des immeubles. En-dessous, c’est le commerce qui a triomphé. Il y a en particulier certaines « esquinas urbanas » remarquables, avec de magnifiques coupoles aux 4 coins de la manzana. C’est le cas de Florida/ Diagonal Norte par exemple.

J’ai également beaucoup de plaisir à marcher dans Puerto Madero, le long des bassins. La rénovation des vieux docks anglais en briques est une vraie réussite.

Il me paraît par ailleurs qu’on sous-estime la beauté architecturale des gares porteñas : Retiro (qui est une des dernières gares de style victorien), Once et Constitucion, sont des lieux remarquables.

Enfin, les galeries commerciales sont une des particularités très intéressantes de Buenos Aires. Il s’agit de passages, remplis de boutiques, qui permettent de traverser une manzana. Il en existe une trentaine à Buenos Aires. Ce sont de véritables petites villes miniatures. On en a commencé à construire à l’époque du néo-classique, mais leur succès a été tel que de nouvelles galeries ont vu le jour jusqu’aux années 1970.

 

  • Les projets en cours de Patricio Pouchulu: Au cours de ces dernières années, Patricio a travaillé sur des transformations de bâtiments dans le centre historique de Londres. Actuellement, il travaille sur une maison de vacances à Biarritz, et prépare une série de grands projets : un complexe hôtelier au centre de Buenos Aires, un hôtel- résidence dans la Cordillère des Andes, ainsi qu’une chaîne de petits hôtels en Europe.